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Ouverture à la concurrence des services TER : premier éclairage sur l’obligation de transmission des données de l’opérateur historique aux régions

Public - Droit public des affaires
28/09/2020
Saisie d’une demande de règlement de différend entre la région Hauts-de-France et SNCF Voyageurs, l’Autorité de régulation des transports (ART) fait une première application du « décret données » (D. n° 2019-851, 20 août 2019, JO 22 août) et enjoint à l’opérateur historique de communiquer près d’une centaine de documents à l’autorité organisatrice de transport (AOT). Il en ressort une interprétation large du périmètre des informations exigibles.

Rédigé sous la direction de Claudie Boiteau, en partenariat avec le Master Droit et régulation des marchés de l’Université Paris-Dauphine


Afin d’organiser la procédure de publicité et de mise en concurrence des services conventionnés et de placer les candidats sur un pied d’égalité avec l’opérateur historique, conformément aux principes de transparence et de non-discrimination, les AOT doivent recueillir les informations utiles caractérisant précisément le service. La transmission des données constitue l’un des enjeux majeurs d’une ouverture à la concurrence effective des services conventionnés de transport ferroviaire de voyageurs. 
 
Par cette décision, l’ART définit les contours de l’obligation de transmission qui s’impose à l’opérateur historique. Après avoir rappelé qu’il existe une liste limitative d’informations exigibles annexée au « décret données » (D. n° 2019-851, 20 août 2019, JO 22 août, relatif aux informations portant sur les services publics de transport ferroviaire de voyageurs et aux éléments nécessaires à l'exploitation des matériels roulants transférés, et à la protection des informations couvertes par le secret des affaires), l’ART ajoute que l’AOT a la possibilité de solliciter toute autre information nécessaire à l’exploitation des services dès lors qu’elle justifie une telle demande. En réponse, SNCF Voyageurs doit fournir des informations compréhensibles, exploitables et réutilisables pour permettre l’accès au réseau. 
 
L’ART accentue l’obligation de communication en déterminant la maille temporelle et géographique des informations exigibles. Si elles ne peuvent être antérieures aux trois exercices précédant la demande, il peut s’agir de données prévisionnelles, celles-ci étant particulièrement nécessaires dans une logique anticipatrice. Enfin, l’ART précise que les informations exigibles sont celles relatives aux liaisons dont la libéralisation est prévue dans l’avis de pré-information. 
 
Premiers pas de la libéralisation des TER par la région Hauts-de-France
 
L’ouverture à la concurrence des services de transport de voyageurs conventionnés sera la règle à compter du 25 décembre 2023, en application de la loi du 27 juin 2018 pour un nouveau pacte ferroviaire (L. n° 2018-515, 27 juin 2018, JO 28 juin, art. 14). La loi offre toutefois la possibilité aux régions d’attribuer ces contrats de service public avant cette échéance. Ainsi, plusieurs régions ont déjà fait part de leur volonté de libéraliser leurs services TER, dont la région Hauts-de-France. 
 
Pour ce faire, l’AOT doit connaître les conditions économiques, techniques et financières du service actuellement exploité afin de rédiger un projet de cahier des charges détaillé et de répondre au mieux aux objectifs d’aménagement du territoire et de qualité de service. C’est le sens des obligations imposées par l’article L. 2121-19 du code des transports et le « décret données » précité. 
 
L’apparition du différend opposant la région Hauts-de-France et SNCF Voyageurs  
 
Le 25 octobre 2019, la région Hauts-de-France et SNCF Voyageurs ont conclu une convention sur le service TER pour la période 2019-2024. Elle permet à la région d’envisager l’attribution, après mise en concurrence, d’une partie de son service conventionné, à hauteur de 20 % de l’offre TER, sous réserve de notifier le périmètre arrêté à SNCF Voyageurs. Le 13 février 2020, la région a défini trois lots de lignes TER qui feront l’objet d’une procédure de mise en concurrence (publication au JOUE d’un avis rectificatif n° 2020/S 031-073592). 
 
La région avait demandé à SNCF Voyageurs la communication d’informations avant même la publication du « décret données » sur le fondement de l’article L. 2121-19 du code des transports. Face aux réticences de SNCF Voyageurs, elle a saisi l’ART d’une demande de règlement de différend le 24 avril 2019.
 
Selon elle, la transmission incomplète ou faisant défaut l’empêchait de mener à bien sa mission de contrôle de l’exécution de la convention TER et d’évaluer correctement la pertinence de l’ouverture à la concurrence des services TER. 
 
En réponse, l’opérateur historique considérait que certaines demandes étaient imprécises, que d’autres avaient déjà été transmises ou ne relevaient tout simplement pas de celles qu’il était tenu de communiquer. 
 
Par sa décision, l’ART accède à la majorité des demandes de l’AOT et enjoint à SNCF Voyageurs de communiquer, dans un délai d’un mois, 96 documents couvrant un champ très large d’informations, de l’organisation générale du service à la justification des compensations versées pour l’exécution du service public.
 
Cette décision rappelle à l’ordre SNCF Voyageurs dans son obligation de communication des informations et a vocation à servir de guide pour les acteurs de la libéralisation.

La décision étant exécutoire, SNCF Voyageurs pourrait toutefois saisir, dans un délai d'un mois à compter de la notification, la cour d'appel de Paris, compétente pour connaître des recours portés contre les décisions de règlement de différend de l'ART.


Par Louise Jager, Marie Missimilly et Bruno Raimondi, étudiants du Master Droit et régulation des marchés de l'Université Paris-Dauphine
 
Pour aller plus loin
Pour des développements détaillés en matière de régulation des transports, voir Le Lamy Droit public des affaires 2020, nos 664 et suivants
Source : Actualités du droit