Retour aux articles

Hébergement d’urgence : un recours sans requérant devant la CEDH

Civil - Personnes et famille/patrimoine
15/01/2020
En l’absence de contact entre un avocat et ses clients, demandeurs d’asile, la Cour européenne des droits de l'homme considère qu’ils perdent leur intérêt pour la procédure et ne souhaitent plus maintenir leur requête. L’affaire doit être rayée en application de l’article 37 de la Conv. EDH.
Les faits
 
Vingt-trois ressortissants étrangers de diverses nationalités (Arménie, Bosnie, Kosovo Serbie, Togo, Azerbaïdjan) arrivés en France en 2013 (requérants n° 2 à 23) en tant que demandeurs d’asile, contestent les conditions d’accueil et d’hébergement en tentes des autorités françaises et saisissent la Cour européenne des droits de l’Homme aux fins de faire condamner la France pour violation de l’article 3 de la CEDH.
Certains des requérants ont vécu tantôt dans des campements de fortune tantôt dans des campements ouverts par le préfet de la Moselle et ont été pris en charge par les services d’urgence du « 115 ».
Ils ont saisi au préalable les juridictions administratives françaises en référé pour une demande de prise en charge en urgence. Le juge des référés du Conseil d’État a rejeté la demande des requérants considérant que l’administration n’a pas commis « d’illégalité manifeste » compte tenu du nombre important de demandes auxquelles elle doit faire face.
 
La décision de la Cour pour les requérants (n° 2 à 23)
La Haute juridiction européenne constate que l’avocat chargé de la défense des requérants n’est plus en contact avec ses clients alors qu’il « importe que les contacts entre le requérant et son représentant soient maintenus tout au long de la procédure ». Or, poursuit la Cour, pour un bon fonctionnement de la justice et le maintien du procès, la présence des requérants est nécessaire pour s’assurer qu’ils ont toujours un intérêt à ce que le litige se poursuive. Dans la mesure où les requérants n’ont ni communiqué leur lieu de résidence à leur avocat, ni laissé un moyen pour lui de les contacter, l’intérêt à agir a disparu.
 
En conséquence, malgré la volonté de l’avocat de poursuivre l’affaire pour les requérants absents, la Cour européenne des droits de l’Homme conclut qu’il n’y a pas lieu de continuer l’examen de la requête pour ces derniers. En application de l’article 37 de la Convention, l’affaire est donc rayée pour les requérants n° 2 à 23. Demeure une requérante, originaire du Kosovo dont la Cour doit examiner la requête.
 
La décision de la Cour pour la première requérante
 
Le Gouvernement français faisait valoir une exception d’irrecevabilité dans la mesure où la requérante n’avait pas saisi en appel le juge des référés du Conseil d’État pour contester l’ordonnance rendue par le juge des référés du tribunal administratif. Ce recours est présenté comme efficace et effectif, selon l’État français. Mais la Cour européenne rejette cet argument, le Défendeur « procède par simple affirmation » et n’apporte pas la preuve que dans des circonstances similaires, le juge des référés du Conseil d’État ait fait droit à l’appel d’un demandeur d’asile majeur isolé et en bonne santé. Il n’est pas démontré que la violation alléguée de l’article 3 de la Convention aurait été reconnue.
 
Sur le fond, la requérante, ressortissante du Kosovo a acquis la nationalité monténégrine en 2005 et est arrivée en janvier 2012 en France. Elle a présenté une demande d’asile le mois suivant. Sa demande d’admission au séjour au titre de l’asile a été rejetée par le préfet ainsi que sa requête auprès de l’OFPRA. Le préfet lui a donc notifié une obligation de quitter le territoire sous trente jours en fixant le Monténégro comme pays de renvoi. Néanmoins, la requérante indique être entrée en France pour y demander l’asile en février 2014. Elle s’est présentée à la préfecture le 2 avril pour y déposer une demande d’asile et a été convoquée le 30 avril pour justifier de son retour au Kosovo, mais elle ne s’est pas présentée selon les autorités françaises. Dans le même temps, en mars 2014, elle saisit la juridiction administrative aux fins d’obtenir une prise en charge dans un hébergement d’urgence en invoquant l’application de la Directive n° 2003/9/CE relative aux normes minimales pour l’accueil des demandeurs d’asile. La requérante soulignait la précarité de ses conditions d’hébergement (en tente) et l’absence de conditions matérielles d’accueil décentes. Le juge des référés a rejeté sa requête le 27 mars 2014 au motif qu’un droit de séjour en qualité de demandeur d’asile lui a été reconnu et qu’elle vit dans un campement disposant de sanitaires, d’eau courante et d’électricité. Le préfet de Moselle n’a donc pas manqué à son obligation d’accueil.
 
Par la suite, en décembre 2014, la requérante présenta une demande de titre de séjour en qualité d’étranger malade, en application de l’article L. 313-11 11° du Ceseda qui fut classée sans suite en raison de l’absence de prise de rendez-vous de l’intéressée. Elle réitéra sa demande de titre de séjour sur le même fondement en avril 2016 et le préfet lui notifia de nouveau une OQTF, en novembre 2016 en fixant le Kosovo ou le Monténégro comme pays de renvoi.
 
La Cour européenne des droits de l’Homme rappelle qu’à travers sa jurisprudence (CEDH, 21 janv. 20111, req. n° 30696/09, M.S.S c. Belgique et Grèce), elle a reconnu que plusieurs critères devaient être établis pour considérer qu’une situation tombait sous le coup de l’article 3. « Un minimum de gravité » doit être atteint au regard des circonstances tenant à la « durée du traitement, de ses effets physiques ou mentaux, ainsi que parfois du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la victime ».
La Cour constate que la requérante ne conteste pas son parcours administratif ainsi que les différentes mesures d’éloignement dont elle a fait l’objet dès 2012 mais n’a pas versé au dossier les décisions de l’OFPRA et de la CNDA. Enfin, la Cour constate que la requérante a été logée au cours de cette période dans un foyer géré par une association en juillet 2014 à Sarreguemines, puis en octobre 2014 à Maizières-lès-Metz. Et s’agissant du campement en tente, elle n’a pas apporté d’éléments permettant d’établir que des conditions de vie décentes faisaient défaut (possibilité de se laver, soigner et de se nourrir).
Dans la mesure où la requérante a pu faire face à ses besoins élémentaires et a bénéficié d’un hébergement en juillet 2014, elle n’était pas « dénuée de perspective de voir sa situation s’améliorer ». Il n’y a donc pas lieu de considérer, selon la Cour, que la situation de la requérante répondait à un seuil de gravité nécessitant l’application de l’article 3.
 
Il y a lieu de s’interroger sur la pertinence du recours exercé par l’avocat pour ses vingt-deux clients « évaporés » en pleine nature. Le but recherché est-il toujours de défendre l’intérêt de chacun des demandeurs d’asile ou de faire condamner la France pour manquement à ses obligations en matière d’accueil des étrangers ? Le combat juridique semble avoir supplanté la défense des droits d’individus dont le désir est de pouvoir s’installer durablement sur le territoire. Noyés dans ce contentieux, ils ne sont plus des justiciables se battant pour leurs droits fondamentaux mais des objets, voire des « armes » pour une quête qui les dépasse. Fort heureusement, la Cour européenne des droits de l’Homme rappelle que l’avocat ne remplace par le client et que les individus sont au cœur des requêtes qu’elle examine.
Source : Actualités du droit