Retour aux articles

Juge compétent pour résilier un bail à usage professionnel

Afrique - Ohada
23/05/2018
L’AUDCG prévoit, en son article 101, in fine, un « jugement » en cas de résiliation judiciaire d’un bail commercial ; il en résulte que seul le tribunal et, le cas échéant, la cour d’appel statuant comme juridiction du fond, connaissent d’un tel contentieux. L'analyse du professeur Bréhima KAMÉNA, agrégé des facultés de droit, Université des sciences juridiques et politiques de Bamako (USJPB), Directeur du groupe de recherches appliquées antenne Lascaux (GRAAL).
Dans cette affaire, le requérant reprochait à l’arrêt infirmatif de la cour d’appel de Lomé la violation de l’article 133 de l’Acte uniforme portant sur le droit commercial général (AUDCG) du 15 décembre 2010, en ce qu’il a rejeté l’exception relative à l’incompétence du juge des référés en se fondant sur la force obligatoire d’un contrat qui n’était pas, selon lui, conforme aux dispositions d’ordre public du texte précité. En outre, selon le requérant, à partir du moment où l’article 157 du Code de procédure civile togolais ne donne aucun pouvoir au juge des référés pour résilier un bail commercial, il n’appartenait pas aux parties d’y déroger par convention.
 
Cette affaire soulève le problème juridique suivant : le juge des référés est-il compétent pour résilier un bail à usage professionnel ?
 
Après avoir rappelé que le contrat litigieux avait été signé le 16 avril 2002 sous l’empire de l’AUDCG du 17 avril 1997, la CCJA décida qu’ « en son article 101 in fine, cet Acte uniforme prévoit un « jugement » en cas de résiliation judiciaire d’un bail commercial » et qu’« il en résulte que seul le tribunal et, le cas échéant, la cour d’appel statuant comme juridiction du fond, connaissent d’un tel contentieux ». Elle cassa alors l’arrêt de la cour d’appel de Lomé.
 
La solution de la CCJA suscite en filigrane une question supplémentaire : quel est le régime de la résiliation d’un bail conclu antérieurement à l’entrée en vigueur de l’AUDCG du 15 décembre 2010 ?
 
À une question similaire, la Cour de cassation française a décidé par un attendu de principe que « l’article L. 145-7-1 précité (du Code de commerce français issu d’une loi du 22 juillet 2009), d’ordre public, s’applique aux baux en cours au jour de son entrée en vigueur » (Cass. 3e civ., 9 févr. 2017, n° 16-10.350, obs. Dondero B., https://brunodondero.com/tag/application-de-la-loi-dans-le-temps/).
 
Dans l’espace OHADA, le Traité prévoit, en son article 9, que les actes uniformes sont applicables quatre-vingt-dix jours après leur publication au journal officiel de l’OHADA, sauf modalités particulières d’entrée en vigueur. L’AUDCG du 15 décembre 2010 a été publié au journal officiel de l’OHADA le 15 février 2011. Il ne prévoit pas de modalités particulières d’entrée en vigueur et, en son article 306, il abroge expressément l’AUDCG du 17 avril 1997. Or, il résulte de l’arrêt commenté que le preneur avait été mis en demeure le 15 mars 2012 et que l’ordonnance du juge des référés du tribunal de première instance de première classe de Lomé datait du 25 mars 2013, soit plus de quatre-vingt-dix jours après la publication de l’AUDCG du 15 décembre 2010 au journal officiel de l’OHADA. Dès lors, contrairement à ce qu’a décidé la CCJA, c’est l’AUDCG du 15 décembre 2010 qui était applicable à la cause.
 
Néanmoins, il est nécessaire d’analyser l’arrêt commenté au regard des dispositions des deux actes uniformes précités.
 
L’AUDCG du 17 avril 1997 dispose, en son article 101, alinéa 2 qu’ « À défaut de paiement du loyer ou en cas d’inexécution d’une clause du bail, le bailleur pourra demander à la juridiction compétente la résiliation du bail et l’expulsion du preneur, et de tous occupants de son chef, après avoir fait délivrer, par acte extrajudiciaire, une mise en demeure d’avoir à respecter les clauses et conditions du bail ». L’article 101, alinéa 5, ajoute que « Le jugement prononçant la résiliation ne peut intervenir qu’après l’expiration d’un délai d’un mois suivant la notification de la demande aux créanciers inscrits ».

Il résulte effectivement de l’emploi du terme « jugement » que seule une juridiction de fond est compétente en la matière. En outre, il résulte de la disposition de l’article 102 du même acte uniforme que les dispositions de l’article 101 précité sont d’ordre public. Dès lors, les parties au bail litigieux ne pouvaient y déroger. Ainsi, si le juge des référés avait été saisi sous l’empire de l’AUDCG du 17 avril 1997, la décision de la CCJA aurait emporté la conviction.
 
L’arrêt commenté confirme un arrêt du 25 avril 2014 rendu par l’assemblée plénière de la CCJA sous l’empire de l’AUDCG du 17 avril 1997 (la mise en demeure datait du 19 mai 2009 et l’ordonnance du président du tribunal de grande instance du 12 mai 2010). Par cet arrêt, la CCJA annula une ordonnance du président de la cour d’appel de Bobo-Dioulasso en ces termes : « l’expulsion par voie judiciaire ne peut être ordonnée au sens dudit article (article 101 de l’AUDCG du 17 avril 1997) que par la juridiction compétente qui est ici un juge du fond et non le juge de référé, incompétent en l’espèce » (CCJA, ass. plén., 25 avr. 2014, n° 067/2014, http://biblio.ohada.org/pmb/opac_css/doc_num.php?explnum_id=3485).
 
Cependant, antérieurement, la CCJA avait, par l’avis n° 1 du 4 juin 2003, adopté une position différente. Selon cet avis, sauf dispositions contraires expresses des actes uniformes fixant des règles propres de procédure désignant spécialement les juridictions pour statuer sur les différends nés de leur application, « la détermination de la « juridiction compétente », expression consacrée et souvent employée par le législateur communautaire OHADA, relève du droit interne et, en particulier, de l’organisation judiciaire de chaque État partie ». En conséquence, selon le même avis, « les dispositions d’ordre public de l’article 101, alinéa 2, de l’Acte uniforme portant sur le droit commercial général se référant expressément, en matière contentieuse, à l’expression précitée, il incombe à la juridiction nationale, saisie d’une demande de résiliation du bail commercial, de rechercher dans les règles du droit interne de son État, si elle est compétente ratione materiae pour connaître de ladite demande, étant précisé que le terme « jugement » est utilisé à l’alinéa 5 dudit article dans son sens générique et désigne toute décision de justice » (CCJA, avis n° 1 /2003/EP, 4 juin 2003, Recueil de Jurisprudence n° 1 / janv. – juin 2003, p.59, Ohadata J-04-69 ; v. aussi en ce sens Trib. com. Brazzaville, jug. n° 7 du 28 janv. 2011, http://www.ohada.com/download/ohadata/J-13-79.pdf).
 
Par ailleurs, la portée de l’arrêt commenté semble se limiter à l’AUDCG du 17 avril 1997. En effet, tout d’abord, la CCJA limite expressément sa solution à cet acte uniforme. Ensuite, l’AUDCG du 15 décembre 2010 modifie la rédaction des articles précités en employant des termes et expressions génériques qui n’excluent pas la compétence du juge des référés.
 
En effet, l’article 133, alinéa 2, du nouvel AUDCG dispose in limine que « La demande en justice aux fins de résiliation du bail doit être précédée d’une mise en demeure d’avoir à respecter la ou les clauses ou conditions violées. ». Quant à l’article 133, alinéa 5, il précise que « La décision prononçant ou constatant la résiliation du bail ne peut intervenir qu’après l’expiration d’un délai d’un mois suivant la notification de la demande aux créanciers inscrits ».
 
À notre avis, les termes et expressions employés par l’article 133 précité ont un caractère générique. Ils désignent, par conséquent, toute décision de justice, aussi bien le jugement d'un tribunal que l'ordonnance rendue par un juge des référés.
 
De la même manière, la périphrase « juridiction compétente statuant à bref délai » contenue dans l’article 133, alinéa 3, ne renvoie pas ipso facto à la notion de référé (CCJA, 2e ch., 12 nov. 2015, n° 129/2015, http://biblio.ohada.org/pmb/opac_css/doc_num.php?explnum_id=3315). Dès lors, la détermination de la juridiction compétente relève du droit interne.
 
Toutefois, le juge des référés, juge de l'urgence mais aussi juge de l'évidence et de l'incontestable, peut, sans outrepasser ses pouvoirs et méconnaître sa compétence, constater la résiliation du bail et ordonner l'expulsion du preneur dès l'instant où le bailleur a respecté les formalités prescrites par les dispositions de l'article 133, alinéas 2 et 3, qui sont d'ordre public. Dans ce cas, le juge des référés se borne à constater que les conditions prescrites par l'article 133, alinéas 2 et 3, sont réunies et il conclut que le bail liant les parties est résilié de plein droit. C’est ce qu’a fait la CCJA dans un arrêt du 25 février 2016 rendu sous l’empire de l’AUDCG du 15 décembre 2010 (la mise en demeure datait du 22 décembre 2011 et l’ordonnance du juge des référés expulsion du tribunal de première instance datait du 13 mars 2012). Évoquant, elle a confirmé l’ordonnance du juge des référés expulsion prononçant l’expulsion d’un preneur (CCJA, 3e ch., 25 févr. 2016, n° 023/2016, http://biblio.ohada.org/pmb/opac_css/doc_num.php?explnum_id=2928 ; pour une position contraire, v. Ndong Mbeng Y. E., La résiliation judiciaire du contrat de bail à usage professionnel en droit OHADA, lex4.com, 22 janv. 2018, https://lex4.com/la-resiliation-judiciaire-du-contrat-de-bail-a-usage-professionnel-en-droit-ohada/).
 
Le juge des référés peut être compétent aussi lorsque le contrat prévoit une clause résolutoire de plein droit pour constater, le cas échéant, cette résiliation et en tirer les conséquences, spécialement l’expulsion du preneur. Il résulte, en effet, de l'article 133, alinéa 4, de l’AUDCG du 15 décembre 2010 que lorsque le contrat de bail prévoit une telle clause, « la juridiction compétente statuant à bref délai constate la résiliation du bail et prononce, le cas échéant, l’expulsion du preneur et de tout occupant de son chef, en cas d’inexécution d’une clause ou d’une condition du bail après la mise en demeure visée aux alinéas précédents. ». Toutefois, il faut souligner que cette disposition n’exclut pas non plus la compétence du juge du fond.
 
Ainsi, analysé sous l’empire de l’AUDCG du 15 décembre 2010, l’arrêt de la CCJA n’emporte pas l’adhésion.
 
Cependant, dans un arrêt plus récent, la CCJA confirma la solution de l’arrêt commenté. Elle décida que « s’agissant de la résiliation judiciaire du bail à usage professionnel et, le cas échéant, l’expulsion du preneur et de tout occupant de son chef, la juridiction compétente visée par l’article 133 de l’Acte uniforme portant sur le droit commercial général s’entend de la juridiction de fond statuant à bref délai car le juge des référés n’a pas compétence pour prononcer la résiliation d’un tel bail, encore moins pour prononcer l’expulsion du preneur dudit bail » (CCJA, 1re ch., 29 mars 2018, n° 066/2018 (http://biblio.ohada.org/pmb/opac_css/doc_num.php?explnum_id=4014).
Source : Actualités du droit